J'aime à penser
J’aime à penser que la bourgeoisie s’encanaille.
A ses fenêtres, cousues d’or, dressant muraille,
Des courtines tombent aussi droit que la morale.
Pourtant, par-delà, je pressens le chant des râles.
Chapeautant le perron, l’ombre d’une marquise
Jette sans allant un voile sur quelques secrets.
Mais à la porte, trois coups de heurtoir suffisent
A lever le rideau sur tout un cabaret.
La gardienne de l’oikos vous prie d’entrer,
Le bréviaire à la main, sur un ton d’organiste.
Son air contrit de chapelle peine à cacher
Ses joues rosies par un bel office onaniste.
De guerre lasse, fuyant l’hypocrisie de sa pieuse,
Au grenier, sous l’œil ravi d’une lucarne,
Le géronte adoucit sa peau de vieille carne
Dans les bras d’une jeune soubrette ambitieuse.
Dans la lumière tremblante des candélabres,
L’aîné se moque bien d’avoir un héritier.
Prenant à revers le goupillon et le sabre,
Il défie le genre pour chérir sa moitié.
La cadette, de peur qu’elle ne se dévergonde,
Fut très jeune vouée à entrer au couvent.
Elle choisit les ordres sans être pudibonde
Et à la badine elle fait rougir ses amants.
Si le benjamin vous sert un air de poupon,
Devant la psyché, il rêve de bagatelle.
Il aime son reflet en robe et en jupon,
La caresse des bas sous un porte-jarretelles.
Les lourds frontons sourcillent de sévérité
Et la façade s’habille de garde-corps.
Mais sans ce masque d’une harmonie corsetée,
Les convenances tolèrent de faux accords.
Lorsque les lambrequins se font feuilles de vigne,
Je salue l’architecte et sa pudeur insigne.
Seule la corniche trahit par une frise
Un sourd désir de fantaisie que j’érotise.
