Le voyage de l'ours blanc
Le temps n’épargne pas la calotte polaire,
Et si les vieux ours ruminent en sédentaires,
Les jeunes ursidés savent, climat oblige,
Que les beaux jours fondent, rien ne tient rien ne fige.
Finis la neige éternelle et l’heureux névé !
Quand le glacier se liquéfie en marmelade,
Les jeunes plantigrades se mettent à rêver,
Ils jouent à l’argonaute et partent en nomade.
Un jeune ours blanc décidé à quitter l’Arctique
S’apprête en composant un maigre baluchon,
Un carnet pour écrire une page héroïque
Et pour la faim une confiture de poisson.
Dans le Grand Nord, l’Inuit se déplace en oumiak
Mais il est aussi peu prêteur que bon chasseur,
Notre ours pourrait y laisser sa peau, tabarnak !
L’imprudence est fatidique aux esprits fonceurs.
Il se contentera d’un paddle de fortune,
Un radeau de glace sans voile car sans vergue,
Et pour cette barque et sa pagaie peu communes,
Il coupe des planches dans le tronc d’un iceberg.
Il faut l’imaginer sur son glaçon d’eau douce
Se frayant un chemin à travers la banquise,
Aussi téméraire qu’un chauffeur de pousse-pousse,
Avec la grâce du gondolier de Venise.
Les géants du froid s’érigent en pyramides,
Sa felouque les toise en glissant sur le Nil,
A bord, le petit frondeur se prend pour David,
Rien ne résiste à l’audace juvénile.
Arrivé aux Grands Lacs, à l’appel des sirènes,
C’est le chant des pygmées et la voix des pêcheurs,
Sa pirogue danse sur les eaux victoriennes,
En polyphonie, en cadence avec ses sœurs.
Puis il se voit au cœur des Anavilhanas.
Sous le regard affamé des piranhas,
Le surf slalome dans un chapelet d’ilots
Pour déjouer les pièges du Rio Negro.
Sa jonque se perd dans les brumes du Mékong,
A chaque méandre s’ouvre un monde nouveau,
Il est résolu à affronter le roi Kong,
Dans cette conquête, il ne craint pas les rivaux.
Son embarcation rêva aussi loin qu’Apollo
Mais sans l’obstination de la Santa Maria.
Sous le soleil, son voyage tomba à l’eau,
La neige fond comme fane le pétunia.
Si moins Heureux qu’Ulysse, il rentra à la nage,
Il rapporta aux anciens d’une belle voix.
Les vieux se souviendraient du bout de leur grand âge,
D’un périple qu’ils avaient conté autrefois.